Interview

Bruno VANNEL : "les moldaves ont l’esprit entrepreneurial"

Bongard, une entreprise alsacienne conquérante en Moldavie et qui a su s'adapter à la crise sanitaire du Covid-19.

Avec l'aimable autorisation de l'Association Alsace Moldavie et de son Président, Jean-Claude MILLION, nous publions sur notre site l'interview réalisée avec Bruno VANNEL, Export Sales Area Manager de l'entreprise Bongard.

Bongard est une entreprise membre de la CCI France Moldavie qui connait de très beaux succès commerciaux dans le pays depuis de nombreuses années.

Jean-Claude MILLION : Bruno VANNEL pouvez-vous nous présenter Bongard ? Quels sont les activités et le métier de cette entreprise ? Quelle place occupez-vous au sein de cette entreprise ?

Bruno VANNEL : L’entreprise alsacienne Bongard a été créé en 1922. De petite entreprise familiale produisant des fours de boulangerie, elle est devenue une grosse PME généraliste et leader pour le matériel de boulangerie et de pâtisserie. 

Aujourd’hui, Bongard est adossée à un groupe italien spécialisée dans les équipements de bouche. 

Disposant de quatre usines de production, Bongard exporte aujourd'hui dans 90 pays. La maison mère et la production des fours sont installées à Holtzheim, dans la banlieue de Strasbourg, ce qui confére à l'entreprise une forte identité alsacienne. Bientôt centenaire, Bongard a su innover avec des produits qui ont changé la vie du boulanger : four Cervap, process Paneotrad, ressuage. 

Bongard réalise un chiffre d’affaire de 68 millions d'€, dont 60% en France et 40% à l’export. 

En ce qui me concerne, pendant 25 ans, j’ai travaillé dans un groupe japonais, en vendant des équipements de production pour l’industrie textile et électronique dans le monde entier. 

En 2011, je change de métier pour devenir chef de marché, chez Pavailler, entreprise basée à Valence, et concurrente de Bongard.

En 2015, j’intègre Bongard qui me propose de venir en Alsace et me confie la responsabilité des marchés russophones (Europe centrale et orientale).

JCM : Comment Bongard s’est-elle implantée sur le marché moldave ? Comment décrire les caractéristiques de ce marché d’Europe centrale ?

BV : L’origine de la démarche commerciale vers la République de Moldavie tient à un homme, Justin LENGOMBA, ingénieur agronome diplômé de l’université d'Odessa, habitant à Chisinau et de culture francophone. 

Il faut savoir que la tradition du pain en République de Moldavie est profondément ancrée dans le pays. Ce n’est pas un secret de dire que les moldaves mangent du pain. 

Chaque village possédait sa propre petite usine de fabrication de pain. 

Fort de sa connaissance des technologies de fabrication du pain en France, Justin LENGOMBA a expliqué aux moldaves que l’utilisation de matériel français était en mesure d’améliorer la qualité de ce produit et de proposer une diversité de pains à partir des recettes et du savoir-faire français. 

Un industriel moldave a adhéré à l’idée, ce qui a amené Justin à rechercher dans l'annuaire français des Pages Jaunes  un fabricant de matériel. Le premier nom à apparaître fut Bongard et l’histoire a continué à s’écrire.

Le marché moldave était un marché de petit pain sans beaucoup de saveur et à forte valeur nutritionnelle. Bongard a amené le croustillant et à modifié le comportement moldave face au pain. Très rapidement, les moldaves ont adopté le pain français et la baguette est arrivée sur les tables. Viennoiseries, pains de différents goûts ont prolongé cette première réussite commerciale.

Les premières livraisons de fours à Chisinau et les succès obtenus par les premières usines équipées ont généré une réelle dynamique, et la République de Moldavie s’est mise à investir largement dans le matériel de boulangerie Bongard.

Chaque ville dispose d’une « usine » à pain et les moldaves peuvent acheter du pain toute la journée. Le pain est acheté en supermarché, au marché, ou dans de toutes petites boutiques.

Notre industriel moldave a réussi à développer son propre réseau de magasins ce qui lui a permis de vendre à de petites boutiques. Ses pains ont gagné le secteur de la restauration et des hôtels. 

Le modèle de l’artisan-boulanger tel que nous le connaissons en France n’existe pas en République de Moldavie. 

En introduisant la technologie française, Bongard se devait aussi de maintenir la fabrication des produits typiquement moldave. De cette nécessité est née une collaboration entre les équipes françaises et moldaves qui a apporté à Bongard la flexibilité indispensable pour répondre aux diverses attentes locales. Ainsi chaque fabricant moldave peut, avec le même équipement Bongard, vendre aux consommateurs, des produits de conception aussi bien française que moldave.

JCM : Que pouvez-vous nous dire de la part de marché de Bongard en République de Moldavie et nous donner votre chiffre d’affaires réalisé dans ce pays ?

BV : Pendant plus de 10 ans, Bongard n’a connu aucune concurrence en République de Moldavie. Ce petit pays ne semblait intéresser personne. Le remarquable travail de Justin LENGOMBA, la confiance de ses clients, le service associé, la proximité de l’usine (méthode des ventes directes) permettent d’afficher encore aujourd’hui une part de marché exceptionnelle dans le milieu de la boulangerie. 

Bongard réalise un chiffre d’affaires de 1 million d’€ par an en République de Moldavie. Ceci peut paraître peu au regard des 65 millions réalisés par l'entreprise. Toutefois, si en pourcentage cela ne représente qu'1,5% du CA total de l'entreprise, cet indicateur n’est pas pertinent pour Bongard. 

En effet, si l’on rapporte le chiffre d’affaires au nombre d’habitants la « petite » Moldavie, considérée comme l'un des pays les plus pauvres d'Europe, investit dans le matériel Bongard autant que la Région Grand Est en France. C’est effectivement un vrai sujet de réflexion digne d’une étude de cas de management stratégique.

JCM : Quelle démarche commerciale avez-vous adoptée en République de Moldavie ? 

BV : Depuis 16 ans, la stratégie développée par Bongard qui s'articule autour des 3 axes - servir, sécuriser, développer -, concerne la République de Moldavie au même titre que les autres pays. 

Servir : Bongard a formé une équipe de techniciens capable d’installer et de dépanner les équipements en moins de 24 heures. Ce délai est facilement tenable en République de Moldavie compte tenu de la taille du pays.

Sécuriser : chez Bongard, tout nouveau prospect ou ancien client est invité à venir assister à des démonstrations, des formations, des visites de boulangeries, sans oublier la découverte de l’Alsace. Nous n’hésitons pas à mélanger les groupes issus d’horizons différents, (même si les moldaves aiment à se retrouver entre eux) peu importe la taille de l’entreprise.

Développer : chaque année, nous participons à la foire Food and Drink avec un stand de 160 m2. Nous profitons de cet événement pour organiser des événements marquants annoncés à l’avance. Quelques exemples : production de 14.000 pains en 3 jours avec du matériel d’une petite boulangerie, production d’un sandwich de 50 mètres et invitation d’un orphelinat à venir le manger sur le stand.

JCM : Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire du Covid-19 pour Bongard ?

BV : Avec notre réseau de vente sur 90 pays, nous avons compris très vite que la situation allait être critique. Nous avons rapidement sécurisé notre réseau de sous-traitants et, dès le mois de février, notre « supply chain » a travaillé de façon à accroître nos stocks de pièces et de machines. 

Notre usine en Italie a pu continuer à produire et nous avons réussi à assurer une liaison par camion entre l’Italie et l’Alsace. Pendant le confinement, sur la base du volontariat, les usines sont restées ouvertes. Nous avions visé un maintien de 30% de nos activités. Ainsi, nous avons pu produire, livrer et facturer avec une fonction administrative en télétravail. 

JCM : Comment se sont passés les échanges avec la République de Moldavie ?

BV : Étrangement, la République de Moldavie est un des rares pays qui a continué à investir durant cette période de crise sanitaire.  Nous avons enregistré des commandes que nous avons pu honorer et livrer.  Je dirai… des mois d’une activité normale.

JCM : Compte tenu de la situation géo-politique de la République de Moldavie (non-membre de l'Union Européenne, situation politique incertaine…) comment Bongard envisage-t-elle d’accompagner ses clients dans leur prochaine reprise d’activité ?

BV : Nous ne voulons pas contrôler le commerce de nos clients, c’est leur affaire. Par contre nous pouvons soulager leur BFR (besoin en fonds de roulement) et leur éviter une asphyxie de leur trésorerie. 

Dans les métiers de nos clients, la période critique se situe généralement 6 mois après l’ouverture. Nous anticipons et mettons en place des conditions de paiement privilégiées, pour permettre à nos clients de ne pas dégrader leurs liquidités.

Aucune assurance-crédit ne couvrant la République de  Moldavie, c’est nous qui prenons et assumons les risques… mais c’est une caractéristique essentielle du métier d’une entreprise exportatrice. C’est peut-être aussi pour cela que n’avons pas beaucoup de concurrents en République de Moldavie !

Si la situation de la République de Moldavie, - j’intègre également la région de Transnistrie -, peut sembler particulière par rapport à un autre pays européen, n’oublions pas que nos clients vendent un produit alimentaire et que se nourrir est essentiel et récurrent. Nous avons pour habitude d’accompagner nos clients partenaires en surveillant régulièrement leur niveau d’activité ; nous leur apportons un service de formation, des conseils et un soutien dans le développement des produits. 

Au sein de notre équipe moldave, nous avons formé un boulanger qui est venu plusieurs fois en France pour apprendre différentes méthodes de panification. Depuis mars, il intervient comme consultant externe chez nos clients et c’est un service gratuit. 

Lui-même bénéficie du soutien métier de nos boulangers experts. Nous avons pu mettre à profit le ralentissement chez certains de nos clients pour leur proposer des visites techniques gratuites.

JCM : Quels sont les attraits du marché moldave et ses difficultés ?

BV : Les moldaves ont l’esprit entrepreneurial, ils aiment porter des projets et nous ne sommes qu’un « support » pour les accompagner dans leur réalisation. L’avantage de la boulangerie est un ROI (return on investment) qui fait rêver, associé à une enveloppe d’investissements basse ; les moldaves sont des partenaires qui savent compter et des entrepreneurs qui ont le sens des affaires…

L’industrie de panification va devoir trouver de nouveaux marchés. Par rapport aux autres pays européens, les entreprises moldaves ne peuvent pas exporter le pain facilement. C’est une question organisationnelle et exporter est un vrai métier ; ce métier ils ne l’ont pas encore totalement intégré même si certains commencent à se tourner vers l’Ukraine.

JCM : Quel est le choix de Bongard : renforcer ou réduire sa présence sur ce marché spécifique ?

BV : Nous allons continuer à developper le marché moldave. Je n’en dirai pas plus pour le moment.

JCM : Quelles sont les perspectives au-delà de la sortie de la crise sanitaire pour le marché de la boulangerie en République de Moldavie .

BV : L’investissement ne s’est jamais arrêté. Le caractère moldave a amené nos clients à continuer à travailler ; cela a aussi été l’occasion pour eux de réfléchir à l’organisation de leur production.  

Nous avons apprécié d’être souvent associés à ces réflexions ce qui nous a permis de projeter de nouvelles implantations sans pour autant nous ingérer dans leurs affaires.

Simplement, nous sommes conscients que le niveau de salaire est bas et que la notion de panier moyen n’a pas beaucoup de sens. Nous sommes très attentifs au niveau de chômage qui se traduit comme un frein à la consommation.

 

Propos recueillis par Jean-Claude MILLION, Président de l'Association Alsace-Moldavie

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